Le film Buena Vista Social Club de Wim Wenders les a fait connaître au monde entier. On vient de passer le hameau d’Alto Cedro, puis de déjeuner à celui de Marcané et le panneau routier indique déjà Cueto et Mayarí. Bienvenue à Cuba, au cœur de l’Oriente, là même où le refrain de la chanson « Chan Chan» de Compay Segundo, rendue célèbre par la caméra de Wenders, a établi le camp : « De Alto Cedro, voy para Marcané ; Llego a Cueto, voy para Mayarí ».
Le décor est posé pour entendre et raconter l’histoire d’un cocktail musical élaboré au trébuchet : une dose de salsa agrémentée d’une pointe de cha-cha-cha et saupoudrée de quelques accents de boléro et de son (voir ci-dessous). Cocktail dont les Cubains comme les voyageurs ne se lassent pas de déguster, au quotidien, les rythmes entrelacés, dans les clubs, les écoles de danse, mais aussi à la terrasse des bars et même, tout simplement, dans la rue.
Musique au cœur du voyage et voyage au cœur de la musique. À Cuba, pour reprendre Souchon : « Y’a d’la rumba dans l’air ! » Partons à la découverte des musiques cubaines…
Quels sont les instruments typiques de la musique cubaine ?
Octobre 1492, sur une plage de l’Oriente cubain, Christophe Colomb dresse sa croix qui étirera vite son ombre sur toute l’Amérique latine. Sans tambours ni trompettes, les premières guitares (vihuelas, luths) débarquent des caravelles pour donner le la au plus beau des métissages musicaux qui soient.
Les indiens Taïnos seront vite exterminés par les conquistadores, leur culture oubliée, mais ils laisseront à la postérité de discrets accessoires, comme les maracas ou le ganzá(ce shaker cylindrique empli de graines), qui confèrent à la musique cubaine son caractère pétillant.
Rapidement érigée en vaisseau amiral de la Conquista, l’île Crocodile (surnom de Cuba, du fait de sa forme) attire comme un aimant influences, styles et envies de divertissements. Les siècles feront le reste. Les sonorités espagnoles sont vite rattrapées par les rythmes des esclaves africains, mais subiront aussi des influences inattendues, comme celle du menuet français (si, si, on y reviendra !).
Les instruments également arrivent de tous les horizons : castagnettes espagnoles ou percussions africaines (Dahomey, Congo, Nigeria…) ; dès le XVIe siècle, les cuivres et instruments à cordes (violes de gambe, violons…) arrivent d’Europe, puis le piano ramené dans les valises, façon de parler, des migrants français de Saint-Domingue au XIXe siècle ; plus exotique, la trompeta china venue de l’Empire du Milieuanimera durablement les congas santiagueras.
Et comme les Cubains sont d’insatiables chercheurs de sonorités, l’île enfantera même des instruments endémiques. Le célèbre tres, une guitare dotée de trois cordes doublées, inventée au XVIIe siècle. Mais aussi, le bongo, cette paire de petits tambours placés entre les genoux du percussionniste, créée dans l’Oriente au XIXe siècle. Et, enfin, le güiro, étonnante calebasse striée, dérivée de l’agbe nigérien, dont le reketeketeke entêtant fait trémousser les moustaches de tous les cha-cha-cha !
Au début du XXe siècle, tout est réuni pour donner naissance à une musique cubaine inspirée et très spécifique.
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Pour assister à un feu d’artifice d’instruments, de musique, de couleurs et de danse, ne pas rater les carnavals de Santiagoou deLa Havane, en juillet et août. À Noël, direction Remedios pour les fameuses parrandas, inscrites au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2018.
Quels sont les différents styles de la musique cubaine ?
Décrire les styles de la musique cubaine est une gageure tant l’éventail est large. Avant tout, non, Cuba ne se limite pas à la seule salsa ! D’ailleurs, ironie de l’histoire, cette dernière s’est surtout épanouie dans la communauté cubaine de New York avant de revenir assez récemment dans l’île.
Les autres styles ? Aux côtés du cha-cha-cha et de la rumba(originaire des quartiers défavorisés de Matanzas et inscrites au patrimoine culturel immatériel depuis 2016), gambillent la trova, la timba, mais aussi le danzón, le cubaton, le boléro cubain (inscrit au patrimoine culturel immatériel depuis 2023), la guajira, le latin jazz…
Incomplet dites-vous ? C’est vrai, le pachanga, la habanera, le filin, le conga (nom dérivé de ces hauts tambours omniprésents dans les formations cubaines), le changüí, le songo, la contradanza, la timba.
Entre tous, la tumba francesase singularise par ses rythmes originaires du Dahomey, mêlés à des danses françaises tel le menuet. Inscrite depuis 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, la tumba a pris pied à Cuba avec l’arrivée des Français et de leurs esclaves, fuyant la révolution en Haïti. Elle est encore populaire à Santiago où l’on danse en agitant délicatement un mouchoir.
Quant au son, il mâtine la romance espagnole de rythmes africains. Également originaire de l’Oriente, il est depuis les années 1930 l’ancêtre de nombreux genres musicaux cubains (et même par-delà l’île). La formation typique en est le sextet, composé de deux chanteurs (le premier joue des maracas, l’autre des claves), un joueur de tres, une guitare espagnole, une contrebasse et un bongo. La mélodie est donnée par les chanteurs, tandis que les instruments scandent le rythme.
Son plus fidèle serviteur aura été Compay Segundo: dès l’âge de 15 ans (en 1922), il sévit comme clarinettiste, joueur de bongo, avant d’ajouter une corde à… sa guitare (son tres est doté d’une septième corde !).
En 1996, Nick Gold et Ry Cooder, producteur britannique et musicien américain, projettent d’enregistrer à La Havane des musiciens maliens avec des Cubains. Les Africains étant bloqués à Roissy pour des problèmes de visa, changement de registre, on déniche d’urgence Compay Segundo (à la retraite depuis longtemps) et le pianiste Rubén González... Cela signe l’acte de naissance du Buena Vista Social Club et d’un magnifique film de Wim Wenders, remettant sous le feu des projecteurs le gratin de la musique cubaine à papa : Ibrahim Ferrer,Omara Portuondo, Eliades Ochoa, Manuel Mirabal.
Quelle chance que la révolution castriste n’ait rien castré de la belle liberté musicale de l’île. À Cuba, quand le son va, tout va !
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À La Havane,El Jelengue de Areito(San Miguel, 410. Tlj 10 h-23 h, minuit le w-e),est tout à la fois le studio d’enregistrement du Buena Vista Social Club, un bar et une salle où se tiennent quotidiennement des concerts (17 h-20 h dim-ven et 20 h-minuit sam).
Où écouter les musiques cubaines ?
Santiago se pare d’une apparente indolence en journée. Pourtant, de nombreuses salles spécialisées proposent de dynamiques cours de danse et même des concerts dansants. À la nuit tombée, on rejoint d’instinct un attroupement. Derrière une porte tout à fait banale, le hasard nous offrira un concert décoiffant de tumba francesa. Les tambours, le chorus, les danseurs ont tout juste raccroché que le taulier de la Jutia Comba nous interpelle : « Mi amor, si tu reviens mercredi, il y a du son et samedi, c’est plus chaloupé, c’est rumba ». Il est 21 h et la soirée calientecaliente commence à peine dans ce berceau de la musique cubaine.
À la Casa de la Trova de Baracoa, c’est un groupe de papis d’un autre âge qui enflamme la piste de danse en effeuillant les grands classiques mille fois entendus, mille fois aimés. À la Casa Los Guayaberos d’Holguín, un jeune groupe offre une version revisitée de son, cha-cha-cha et salsa. Vingtenaires et trentenaires virevoltent sur la piste pendant qu’un petit ancêtre rigolard de 90 balais leur donne un cours de déhanché !
Mais l’Oriente n’a pas le monopole de la musique, loin de là. À Camagüey, au Seven Lounge puis au Melange, on nous initie aux accents d’un samedi où le cubaton a pris le pouvoir. Le très jeune public socialise plus qu’il ne danse sur ce mix de rap et de techno latina.
À Trinidad, à Viñales, salles et terrasses ont une bougeotte toute populaire. Les spectateurs s’invitent couramment sur scène pour esquisser un pas de danse, accompagner (voire remplacer) le chanteur ou un instrumentiste. Poêlant aussi lorsque le cuistot d’un resto bondit de sa cuisine, pour troquer ses cuillères contre des maracas, sur sa chanson fétiche ! Les Cubains ont la musique dans le sang.
En journée, jouant avec l’ombre et le soleil, les petites formations installent dans un coin de rue leurs tres, contrebasse, trompette et autres maracas pour une tranche de bonheur itinérant. Même topo à la terrasse des bars, ou dans leurs salles vintage, où défilent les musiciens sans attache spécifique. Prévoir un petit budget pourboire (propina), car un simple mojito s’agrémente souvent de deux ou trois groupes successifs qu’il faut bien congratuler.
Dans un coin de pénombre de la salle, chapeauté et cravaté, un type enfoncé dans un fauteuil tire sur son cigare, l’œil facétieux et la moustache rieuse. Dans l’air brouillé par la fumée, s’instille l’impression fugitive d’un profil éternel. La playlist enchaîne sur une magnifique version rap latino de Chan Chan, interprétée par Orishas. Maître Compay, les jeunes générations mènent leur revolución et ménagent un bel avenir à ton Cuba libre.
Le + de routard.com :
Festive et spontanée, incarnée, même, la musique cubaine recourt très souvent à l’improvisation musicale mais également à des couplets créés de toutes pièces, à la surprise amusée des autres musiciens et du public. Ces derniers n’hésitent pas à répondre de façon tout aussi spontanée.
Les meilleures adresses où écouter de la musique à Cuba
– Casa de la Trova à Santiago : Tlj 11 h-1 h. Modèle de toutes les Casas de la Trova du pays, celle de Santiago est incontournable ! Tous les grands y sont passés.
– Fabrica de Arte Cubano à La Havane : calle 13, 61. Seulement jeu-dim 20 h-3 h. Ex-usine d’électricité, devenue un atypique centre culturel réputé pour ses concerts d’excellence, mais aussi son restaurant El Cocinero.
– Casa de la Trova à Baracoa :sur la pl. de la cathédrale.Petite salle de concerts très animée le soir. Groupes locaux entre 17 h et 19 h, puis à partir de 21 h.
– Casa de la Trova Patricio Ballagas à Camagüey : Cisneros, 171. Mar-sam 10 h-18 h, dim 15 h-23 h. Le dimanche, ne manquez pas la peña de Candida Batista. Les autres jours, groupes de son 100 % traditionnel.
– Salon Benny Moré d’Holguín :angle Luz Caballero y Maceo. Tlj sauf mar 21 h-1 h. Spectacles de danse certains soirs et salsa 2 fois/sem : l’un des meilleurs lieux nocturnes de Holguín.
– Casa de la Música à Trinidad : calle Simón Bolívar, 72. Tlj 19 h-1 h. LE grand rendez-vous nocturne pour profiter de groupes puis, après minuit, DJ et cubaton prennent le relais !
– Academia de Arte y Cultura à Trinidad : tlj 9 h-19 h (13 h dim). Profs vraiment sympas, pédagogues, pros et enjoués pour apprendre à chalouper comme il faut.
– El Bily à Viñales :plusieurs concerts chaque soir (19 h 30 et 21 h 30). Musique cubaine 100 %, entre grands standards et tubes moins connus. Piste animée par des danseurs en tenue de carnaval qui font un peu tout meuche.
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