Carthagène des Indes, le bijou de la Colombie
Ceux qui connaissent La Havane ou San Juan de Porto Rico ne seront pas dépaysés en arrivant à Carthagène des Indes, « Cartagena de Indias » en VO. Si, tourné vers l’extérieur, le regard découvre d’abord un paysage de gratte-ciel plutôt inattendu, côté intérieur, c’est une carte postale parfaite qui se dévoile.
Voilà un cœur colonial parfaitement restauré, aux rues bordées de fières demeures cachées derrière leurs façades multicolores, s’ouvrant sur des patios à arcades verdoyants où gargouille souvent une fontaine. Des palmiers s’installent aux balcons. Des bougainvillées grimpent aux gouttières. Et, de loin en loin, quelques plazas arborées tendent leurs bancs aux promeneurs…
Située au nord de la Colombie, Carthagène, ce bijou de la côte caraïbe, est l’une des plus belles villes d’Amérique du Sud.
Préparez votre voyage avec nos partenairesCarthagène, la plaque tournante des Indes
Lorsqu’il longe les côtes en 1502, Rodrigo de Bastidas note la forme de la baie, qui s’enfonce profondément dans les terres. Un havre parfait pour se protéger des tempêtes et des ouragans. Sa forme lui rappelle celle de la baie de Carthagène, sur la côte méditerranéenne espagnole. Soit. Ce sera Cartagena de Poniente (Carthagène de l’Occident).
Une génération plus tard, on est à peu près sûr, grâce au Florentin Amerigo Vespucci, que ces Indes ne sont pas les Indes. On parle déjà d’Amérique – en son honneur –, mais Carthagène a une caravelle de retard. On précise même, après la fondation de la ville en 1533 par Pedro de Heredia : San Sebastián de Cartagena de Indias. Et pour cause : les flèches indiennes pleuvent alors sur les conquistadores…
Ils rêvent de rejoindre le Pérou et ses trésors par les terres. Mais le nouveau continent et ses occupants ne se laissent pas si facilement subjuguer par l’arquebuse et la Bible. Restent les richesses locales : l’or enfoui dans les tombes Zenús en vaut bien un autre. Heredia s’en met plein les poches, au point d’être renvoyé en Espagne aux fers. Il n’y parviendra jamais, coulé avant d’attendre l’Ancien Monde.
Malgré un grand incendie dévastateur en 1552, le port se développe au gré de l’exportation des richesses arrachées au continent, faisant bientôt concurrence à Panama et La Havane. Des flottilles chargées d’or, d’argent, d’émeraudes vont et viennent. La cité croît et y gagne le titre de « Muy Noble y Muy Leal Ciudad ». Ses habitants prospèrent, importent des esclaves, s’enrichissent encore davantage.
Et Carthagène se met à l’abri de murailles…
Difficile de cacher longtemps cette bonne fortune. Les corsaires débarquent, naturellement. Le premier est un Français, le 25 juillet 1544 à l’aube : Robert Ovalle, ou Roberto Baal disent avec mépris les Espagnols pour désigner Jean-François de la Rocque de Robertval, vice-roi du Canada et cousin de Diane de Poitiers. Le sieur repart les poches lestées de 200 000 pesos d’or, extorqués contre la promesse – tenue – de ne pas brûler la ville.
En 1559, Martin Coté et son frère Jean de Beautemps, à la tête d’un millier d’hommes, s’emparent du quartier de Getsemaní et forcent la ville à leur livrer l’habituelle rançon – au prix de beaucoup de sang. Beautemps y laisse son cadavre, la gorge transpercée d’une flèche empoisonnée caraïbe.
John Hawkins, lui, repart la queue basse en 1568, mais Francis Drake lave l’honneur britannique 18 ans plus tard en s’emparant, une fois encore, de la cité. Chantage, extorsions, les prières des Dominicains et des Franciscains n’y changent rien. Le favori d’Elizabeth Ire repart avec un butin record : 500 000 pesos.
Las de tant de pillages, les Espagnols réagissent, enfin : Cartagena de Indias se dote de murailles sous la conduite d’un ingénieur italien. L’intégralité de la cité, occupant une presqu’île entourée d’eau, est fortifiée sur un pourtour de 11 km, tandis que divers postes avancés et brisants sont déployés pour empêcher une invasion ennemie. Les murailles sont toujours là, enrobant presque intégralement le centre historique.
Une forteresse puissance 10
Un siècle passe, en toute prospérité, et la ville atteint son apogée. Vers 1650, seuls Mexico, Lima et La Havane la dépassent en importance et en prospérité. Les Carthagénois s’endorment sur leurs lauriers, les soldats désertent trop souvent leur poste. Et le baron de Pointis, mandaté par Louis XIV, en profite : en 1697, à la tête de 29 navires et 5 200 soldats, flibustiers et mercenaires, il s’empare – une fois encore – de la belle Cartagena. Un exploit détaillé au Museo Naval del Caribe.
Les têtes tombent et les Espagnols fortifient plus encore. Le fort de San Felipe de Barajas, perché sur une colline dominant Getsemaní, côté terres, s’étend au fil de la crête et l’englobe. Il se dote de passages et d’escaliers souterrains reliant entre eux les différents postes avancés et terrasses. Et voilà bientôt San Felipe désigné plus puissante forteresse du Nouveau Monde. Inexpugnable.
À 10 min à pied du centre historique, passé le pont sur la lagune, l’édifice trône encore en majesté sur son piédestal. On s’y hisse en suant sous le soleil caribéen pour bénéficier, tout en haut, d’un panorama imprenable sur la ville : le quartier historique en contrebas, presque modeste, les immeubles de 50 étages de Bocagrande en toile de fond. Les terre-pleins, en contrebas, étaient jadis minés pour empêcher toute avancée ennemie.
Carthagène, au temps de l’Inquisition
Calle de La Inquisición, une fenêtre grillagée en forme de cloche, dument surmontée d’une croix, se perche à hauteur de cheval, sur le mur sud du fier Palacio de la Inquisición. Cette Ventana de la Denuncia (fenêtre de la dénonciation), aussi appelée Ventana de la Ignominia permettait aux bonnes âmes de dénoncer discrètement, par billet anonyme, les mauvais coucheurs, les mauvais penseurs et tous ceux qu’elles n’aimaient pas…
Établi à Carthagène en 1610, le tribunal local de l’Inquisition a fonctionné deux siècles durant, jusqu’à la proclamation de l’indépendance de la ville en 1811. C’est le prélude à l’indépendance de la Nouvelle-Grenade et à la constitution de la Grande Colombie sous l’égide du non moins grand Bolívar – dont la statue équestre trône, bien légitimement, au centre de la plaza attenante, au pied des grands arbres et à deux pas de la cathédrale.
C’est un fort bel édifice que ce Palacio de la Inquisición, précédé d’un portail baroque monumental en corail, ajouté en 1770. Quelque 800 personnes furent jugées sous ses voûtes, dont 5 finirent brûlées vives pour sorcellerie.
L’exposition du rez-de-chaussée détaille ces heures sombres, mais le plus intéressant est à l’étage, où les anciennes salles d’audience du tribunal sont devenues musée historique de la ville, mobilier et tableaux à l’appui.
Autre temps, autres mœurs : sous les arcades sud de la plaza de Bolívar, devant le Palacio de Gobierno, figurent les portraits de toutes les miss Colombie, façon Walk of Fame, depuis le lancement du concours en 1934 ! Juste devant, en vedette, les deux Miss Univers nationales.
Balade dans Carthagène
Tout tourne autour de la plaza de Bolívar, amarrée à distance acceptable du port et de ses dangers. À l’angle nord-est, la cathédrale Santa Catalina de Alejandría est l’une des plus anciennes d’Amérique.
Bâtie entre 1577 à 1612 dans un style fin Renaissance inspiré des édifices andalous et canariens, elle repose sur sept paires de puissantes colonnes en corail. Pour obtenir la rançon qu’il exigeait, El Draque (Drake) en fit sauter trois à coup de canon, en 1586, menaçant tout l’édifice alors en construction… Les Carthagénois cédèrent.
Sur le flanc est de la place, le Museo del Oro Zenú donne une petite idée de la richesse pillée par les conquistadores au 16 e siècle : créatures mythologiques mi-hommes mi-animaux, amulettes, pectoraux, boucles d’oreille et autres ornements nasaux en or.
Mais, en vérité, Carthagène n’est pas bien riche en musées. Et pour cause : la ville entière est un musée à ciel ouvert. Direction la Plaza de Santo Domingo, ses terrasses de cafés et la Gorda Gertrudis (grosse Gertrude) de Botero.
L’étroit callejon de los Estribos, qui longe le flanc de l’église éponyme en direction des murailles et du front de mer, compte parmi les plus jolies rues du centre. On s’émerveille devant ses façades pastel, ses portails et ses yeux de bœufs en corail, ses balcons dégoulinant de végétation et ses volets de bois parfaitement restaurés.
Même constatation carrera 8 (calle de la Cochera del Hobo), en plus coloré encore. Un cliché, presque, avec cette treille de bignonias violets courant tout du long.
Le cœur de la ville de Carthagène
C’est à l’est, côté port et Getsemaní, que se trouvait l’entrée principale de la ville fortifiée à l’époque coloniale. La Boca del Puente, débouchant à l’origine sur un pont-levis, est aujourd’hui gardée par la puissante Puerta del Reloj (1631), au sommet de laquelle a été ajoutée une horloge au 18e ou 19e siècle (personne ne semble d’accord !).
Le cœur vivant de Cartagena de Indias se trouvait et se trouve encore juste derrière, sur la belle plaza de los Coches, triangulaire. Les calèches y ont remplacé les fiers attelages de jadis, et le pilori a été supplanté par une statue rendant hommage, malgré tous ses pillages, au conquistador Pedro de Heredia, dépeint en pourpoint et toge quasi romaine…
Les arcades sous lesquelles s’organisaient le commerce et l’immonde marché aux esclaves (Cartagena fut un temps le principal port négrier d’Amérique) sont toujours là. Rebaptisées Portal de los Dulces, on y vend aujourd’hui des confiseries : turrón de maní (nougat à la cacahuète), dulces de yuca (manioc), grosses galettes chepacorinas au fromage, panelitas de leche croquantes et très sucrées, alegrías (« petites joies » au millet, miel de canne et coco), bolitas de ajonjolí (boulettes de sésame) d’origine asiatique, cocadas (au coco, pas à la coca !) relevés d’arequipe (confiture de lait), de panela (canne à sucre), maracuya (fruit de la passion), ananas ou goyave…
À la nuit tombante, les stands ambulants d’arepas (galettes de maïs) et de brochettes apparaissent, signalant la fin de la journée.
Salsa à Carthagène
Vers 19 h, tandis que les vendeuses du Portal de las Dulces commencent à remballer, les tumbaos des basses et des congas, les trompettes et les échos métalliques des timbales colonisent le coin où la plaza de los Coches se fond à la plaza de la Aduana. Les soirées débutent tôt chez Donde Fidel, quartier général des salseros de la ciudad vieja.
Les trois petites salles se remplissent déjà, entre les vieilles photos de clients et de célébrités passées par là, à touche-touche sur les murs. Les corps se rapprochent, se collent, chaloupent entre les tables, sans limite d’âge, de corpulence.
Peu importent les lendemains, les Colombiens sont bons vivants. Et chacun, peu importe son rang, peu importe son sort, esquissera un déhanchement en passant devant – jusqu’au vendeur ambulant harassé par douze heures de labeur sous l’implacable chaleur.
Au Bazurto Social Club, avenida del Centenario (à l’orée du quartier de Getsemaní), les soirées commencent plus tard, en vivo (live), du jeudi au samedi seulement. Le Bazurto, c’est un champeteadero. Le QG local des amateurs de cette musique folk colombienne, largement matinée de rythmes africains, rapide pour ne pas dire saccadée.
Un mélange de soca, un peu de reggae, et beaucoup de rythmes (sur une base de soca, une touche de reggae,) – voilà la champeta, 100 % caribeña, 100 % cartagenera. Métisse. Énergique. Contagieuse.
Fiche pratique
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Site officiel du tourisme colombien
Site officiel du tourisme à Cartagena
Comment y aller ?
Le plus simple, depuis l’Europe, est de prendre le vol KLM via Amsterdam qui dessert directement Carthagène. On peut aussi transiter à Bogotá, desservi par un vol quotidien d’Air France, ou par Panama (idem, une bonne option). Compte tenu de l’heure d’arrivée du vol, le transit par Bogotá oblige à y passer la nuit. Trouvez votre billet d’avion.
Climat
Bien que située juste au nord de l’Équateur, la Colombie connaît des climats très divers en fonction de l’altitude et du régime des pluies dominant. Sur la côte caraïbe, relativement arrosée (mais bien moins que la façade pacifique du pays), le thermomètre oscille toujours, grosso modo, entre 22 °C et 33 °C. La période la plus sèche s’étend de janvier à avril ; la plus humide de fin août à octobre. Juin est également pas mal arrosé, contrairement à juillet.
Où dormir ?
Le choix d’hébergement à Carthagène est énorme, mais les prix ne sont pas tendres ! C’est même la ville la plus chère de Colombie, surtout si l’on veut résider dans le centre historique. Là, très (très) peu d’hébergements de catégorie intermédiaire, seulement une poignée d’hostels (auberges de jeunesse) et quantité de belles adresses généralement aménagées dans d’anciens palais coloniaux. Pour trouver un petit hôtel familial abordable, mieux vaut s’installer dans le quartier populaire et festif de Getsemaní, à 10 min à pied du centre historique (juste à l’est).
- Bourbon St Hostal Boutique : Calle 35 # 3-30, Plaza de Santo Domingo. Ultra centrale, face à la belle plaza de Santo Domingo, cette AJ confortable dispose de dortoirs climatisés aux lits isolés les uns des autres par des rideaux occultants, et d’une piscine dans le patio.
- The Clock Hostel & Suites : Calle Roman #5-22. Cette AJ n’a pas grand-chose à envier à la précédente en termes de confort. Pas de piscine, mais un jacuzzi en terrasse et 2 chambres privées peu lumineuses, mais jolies.
- Casa Gastelbondo : Calle 36 #2-101. Cette demeure du 17e siècle à la façade greffée de beaux balcons en bois abrite juste 5 chambres très spacieuses et confortables, plus contemporaines que coloniales.
- La Passion Hotel Boutique : Calle Estanco del Tabaco 35 – 81. Chic, mais pas snob, ce beau petit hôtel au charme colonial occupe une ancienne maison de maître joliment réaménagée par son propriétaire français. Piscine sur le toit.
- Zana Hotel Boutique : Calle de las Chancletas No 10 B – 51 Barrio Getsemani. Le « boutique » est de trop, mais ce petit hôtel familial tout simple présente l’un des meilleurs rapports qualité-prix du quartier de Getsemaní (salle de bains privée, AC, super accueil).
- Patio de Getsemaní : Calle del Pedregal #26A-79. Même quartier, même style, mêmes tarifs, ici autour d’un patio verdi de fougères, avec des chambres assez lumineuses dans les étages. Les remparts sont en face.
- Casa Pizarro Hotel Boutique : Calle del Pozo # 25- 56. Lui aussi situé à Getsemaní, cet hôtel de catégorie intermédiaire dispose de chambres confortables et bien tenues. Trait de nage dans le patio et toit-terrasse pour le petit déj.
Où manger ?
Pour ne pas se ruiner, le midi, on mise sur les menus bon marché des petits restaurants populaires, comme l’incontournable et ultra-copieux Espíritu Santo (calle El Porvenir, 35-60), le 1533 (calle La Soledad 5-38) affichant des formules dès 12 000 $ (3,20 €), ou encore le végétarien Girasoles (calle de los Puntales 37-7).
Envie d’un bon ceviche ? Misez sur Cebiches & Seviches, au portal de los Dulces. Très abordable, frais et excellent. Plus « exotique » ? Tout à l’ouest de la vieille ville, La Tapería, tenue par un Galicien, vous transporte un moment dans l’univers des bars à tapas espagnols. C’est microscopique (6 tables serrées) !
Parmi les classiques colombiens et caraïbes, citons l’incontournable La Mulata (calle Quero 9-58), spécialisée dans les poissons et fruits de mer aux notes sucré-salé, ou le chaleureux Malanga Bistró Caribe, sur sa placette pittoresque (San Diego).
Une soirée en amoureux ? Pour un repas stylé, le gastro-bar Mar Y Zielo (calle del Arzobispado 34-63) ne manque pas d’arguments : bons produits, belle cuisine, beau décor, service pro.
Bon à savoir
Free tours (visites guidée gratuite, au pourboire) du centre tous les jours à 10 h et 16 h
Horaires de bus pour quitter Carthagène
Aventure Colombie : une agence franco-colombienne sérieuse, avec une antenne à Carthagène
Pour faire connaissance avec la champeta…
Texte : Claude Hervé-Bazin